SEXE et GENRE.

Il s’agit deux notions irréductibles l’une à l’autre.

Le sexe réfère à une donnée biologique : les chromosomes XX et XY déterminent le sexe dans 99,98% des cas (les rares cas d’inadéquations entre sexe chromosomique et sexe gonadique proviennent d’un déplacement du gène dit SRY –Sexdetermining Region of Y chromosome-, normalement situé à l’extrémité du bras court du chromosome Y -, ce qui explique qu’il peut y avoir, dans de très rares cas, des « femmes XY » et des « hommes XX » ). Cette donnée biologique (qui renvoie au réel) indique qu’on se trouve dans une espèce sexuée, c’est-à-dire sectionnée en deux sexes ‑ le mot « sexe » vient d’ailleurs du latin secare, « couper », « séparer » (c’est pourquoi j’ai avancé ici le mot de sexion). Dans cet ordre, la survie de l’espèce passe inexorablement par la mort des individus et implique donc, autant que possible, si l’on veut que cela continue, la rencontre préalable avec un représentant de l’autre sexe (que ce soit in vivo comme autrefois ou in vitro comme c’est possible aujourd’hui).

Quant au genre, il relève d’une construction psychique (d’ordre imaginaire et symbolique).

Cette différence entre sexe et genre entraine une conséquence majeure pour l’individu quant à ses choix possibles. On ne peut pas changer de sexe (relevant de l’être), mais on peut changer de genre (relevant du paraître). Je précise à toutes fins utiles que, disant « on ne peut pas changer de sexe », je ne me situe pas dans l’ordre de la prescription (« il faudrait que… ») ou du souhait (« je voudrais que… »), mais dans celui du simple constat (« c’est comme ça »). Aucune opération, ni aucune prise d’hormones, ni aucune autre intervention, n’a jamais entraîné de déplacement du gène SRY déterminant le sexe. Une impossibilité qui risque de durer encore longtemps. C’est peut-être regrettable mais c’est ainsi : une drag-queen, plus femme que toutes les femmes réunies, reste biologiquement un homme.

Deux ordres donc, avec leurs lois propres. Or, parfois (souvent), il peut surgir des conflits entre ces deux dimensions. Par exemple, en tant que je vis, je suis nécessairement (dans 99,98 % des cas) un homme ou une femme. Mais, en tant que je parle, je peux dire ce que je veux et donc me prendre pour qui je veux : une femme, pour moi qui suis un homme, si cela me chante (et inversement). Comme on l’a très justement dit, le genre est un théâtre. Et on a le droit de faire du théâtre : le fait de se prendre pour ce que l’on n’est pas fait intégralement partie des droits de l’homme.

Tout discours qui ne parvient pas (ou qui se refuse) à articuler ces deux dimensions est abusif, c’est-à-dire fautif. En d’autres termes, il existe sur cette question vive, touchant aussi bien notre intimité que notre « extimité », deux façons de se tromper. L’une disant qu’ « il n’y a que le sexe » et l’autre disant qu’ « il n’y a que le genre ».

La position de ceux qui disent qu’il n’existe qu’une seule dimension, celle d’une sexuation telle que voulue par le Créateur, c’est-à-dire limitée à la reproduction, est aujourd’hui incarnée par les franges subsistantes de l’ancien discours du patriarcat.

La position de ceux qui soulignent qu’il est dans la vocation de l’humanité de s’affranchir de toutes les normes de la nature – cela même que l’on appelle culture- est soutenue par les post-modernes qui peuvent aller jusqu’à soutenir que la différence entre les sexes n’existe pas et qu’elle n’est pas un fait biologique, mais une pure construction sociale (Bourdieu) ou une construction performative (Butler). Certains vont même jusqu’à affirmer que le genre peut déterminer le sexe. Cette position qui, au premier abord, paraît très révolutionnaire, est un pur sophisme qui s’inscrit entièrement dans la culture post-moderne de l’époque néo-libérale qui accorde à l’individu des droits illimités, même celui (impossible) de pouvoir changer ses chromosomes et son bios.

Au total, cela donne un interminable et récurrent débat entre deux positions fausses — l’une réduisant l’homme à son bios, l’autre à ses desiderata. Ce qui ressemble fort à une opposition stérile entre la religion antique de l’amor dei et la religion post-moderne de l’amor sui. Seule possibilité : fuir un débat mal posé et tenter d’en sortir en articulant enfin ces deux dimensions constitutives de l’humain : le vivant (marqué par la différence sexuelle) et le parlant (qui permet le paraître).


Pour en savoir plus, lire : La Cité perverse
                                         L’individu qui vient…