ÉCONOMIES

Le règne sans partage de l’économie dans le monde capitaliste actuel fait oublier qu’il existe d’autres économies que l’économie marchande.

Or, à l’évidence, les hommes n’échangent pas que des biens.

• Dans l’économie politique, on gère les intérêts divergents de l’être-ensemble.

• Dans l’économie discursive, on échange du sens.

• Dans l’économie symbolique, on échange et s’entend sur des valeurs à partager.

• Dans l’économie psychique, on tente de réguler des passions et des pulsions.

S’il faut ― c’est une des visées de mon travail ― pouvoir réfléchir avec ces différentes dimensions, c’est parce que, depuis que l’économie marchande s’est extraite du social (thèse de Polany), les autres grandes économies humaines ont été priées de se plier aux lois de l’économie de marché. Le terme qui convient pour décrire ce phénomène de propagation d’une économie à l’autre est celui de transduction, introduit par le philosophe Gilbert Simondon (L’individu et sa genèse physico-biologique, 1964).

Je crois ainsi avoir montré que des changements dans l’économie marchande (la dérégulation en vue de libérer le fonctionnement pléonexique) entraînent des effets dans l’économie politique (l’obsolescence du gouvernement et l’apparition, à sa place, de la gouvernance). Ce qui, à son tour, provoque des mutations dans l’économie symbolique (la disparition de l’autorité du pacte et l’apparition de groupes égo-grégaires) et des transformations profondes dans l’économie sémiotique (des transformations dans la grammaire, base de la logique, et des altérations sémantiques de type sophistique). Cette réaction en chaîne peut enfin produire des effets considérables dans une économie a priori à l’abri parce que bien enfuie en chacun de nous, l’économie psychique. Ce qui se solde par une certaine obsolescence du sujet moderne (critique, c’est-à-dire apte à penser par lui-même, et névrotique, c’est-à-dire sujet à la culpabilité) et par l’apparition d’un autre sujet navigant dans un autre milieu psychique qu’on peut représenter par un triangle dont les trois pointes sont constituées de la perversion, de l’addiction et de la dépression.

Cette réaction transductive produit aussi des effets dans l’économie-qui-englobe-toutes-ces-économies, l’économie du vivant. Il existe en effet une contradiction majeure entre le principe pléonexique (toujours plus de richesse) et la finitude des ressources offertes par la terre et la stabilité des éco-systèmes.

Il apparaît chaque jour plus clairement que le vouloir toujours plus nous expose au risque de tout épuiser, de tout dérégler et donc de tout perdre.


Pour en savoir plus, lire : L’individu qui vient…