LIBÉRALISME (ULTRA- et NÉOLIBÉRALISME)

Ces deux termes sont à l’origine de beaucoup de confusions car on les emploie trop souvent de façon indifférenciée. Or il faut absolument les distinguer.

L’ultralibéralisme est à peu près totalement définissable à partir de cette proposition soutenue dès le XVIIIe siècle par Adam Smith : « il faut, dans l’économie, laisser faire les passions humaines, notamment l’égoïsme où chacun défend ses intérêts privés ».

Or, la société — quelle qu’elle soit — se définit précisément de ne jamais laisser faire les égoïsmes et de leur opposer toute une série de formes de solidarités telles que celles héritées de formes archaïques venues de la socialité primaire (au sens maussien du terme, telles que entraide amicale, villageoise, familiale, communautaire…), des solidarités socioprofessionnelles et des solidarités mises en place par l’État moderne (comme dans le cas de l’État-providence).

Donc, pour que cette économie du « laisser faire les égoïsmes » soit effectivement imposée contre ces formes de solidarités, il faut employer une politique néolibérale rompant avec tout ce qui était connu dans l’ancien libéralisme politique. En effet, cette forme nouvelle vise à casser, y compris violemment, les formes primaires et socioprofessionnelles de socialité, de même que les formes secondaires de l’État moderne, comme instance de régulation et de redistribution, chargée de ce qu’on appelait alors la « chose publique ».

C’est ce nouage paradoxal qu’il faut bien comprendre : la rencontre, la conjonction du laisser faire économique et de la violence politique.

La politique néolibérale vise donc à substituer à l’État moderne protecteur des population, un État post-moderne et néolibéral se donnant pour tâche de faire disparaître, par tous les moyens possibles, les lois modernes de protection (du travail, de l’environnement…), les formes archaïques venues de la socialité primaire et les formes étatiques modernes de solidarité (services publics de santé, de justice, d’éducation, de redistribution…), ainsi que les formes socioprofessionnelles (par exemple les syndicats).

Ces États néolibéraux peuvent aller jusqu’à fonctionner comme des États d’exception suspendant le droit commun, voire même comme des machines dictatoriales destinées à mettre en place un nouvel espace sociétal ultralibéral, de façon à créer un espace économique ouvert au laisser-faire pulsionnel, complètement prosaïque, trivial, nihiliste, sans autre loi que celle du plus fort, empreint d’un nouvel et puissant darwinisme social où la valeur, désormais unique, c’est-à-dire monétaire et non plus symbolique, doit pouvoir passer d’une main à l’autre sans autre forme de procès. Soit un espace où les « plus adaptés » doivent pouvoir légitimement profiter de toutes les situations dans tous les domaines (le marché total) cependant que les « moins adaptés » sont tout simplement abandonnés à leur sort.

Le laisser-faire économique ne s’impose jamais mieux que du haut d’une politique néolibérale mise en œuvre par les régimes autoritaires les plus divers. Ce n’est pas pour rien que le laboratoire de cet espace double — économiquement ultralibéral et politiquement néolibéral — a été le Chili de Pinochet où Milton Friedman, l’un des chefs de file de l’école néolibérale, avait dépêché, dès le début du coup d’état de 1973, ses « Chicago Boys ». Ce « laisser faire » économique fut ensuite autoritairement imposé par le thatchérisme en Angleterre, puis par le pouvoir communiste en Chine, puis par le poutinisme en Russie.

Autant d’exemples qui indiquent que cette forme néo-libérale autoritaire a totalement rompu avec l’ancien libéralisme politique (par exemple, celui de Benjamin Constant et de Alexis Tocqueville) qui se caractérisait de veiller à la pluralité des points de vue.

 


Pour en savoir plus, lire : Mandeville (présentation).