Passion

S’il faut absolument faire une entrée pour ce terme de « passion », c’est parce qu’il est symptomatique du renversement civilisationnel que nous connaissons en ce moment de l’histoire humaine.

Ce renversement est lisible à partir du sens même du mot « passion ». En effet, ce terme « passion » n’a pas eu, pendant deux millénaires, le sens positif que nous lui connaissons aujourd’hui. On en prend aisément la mesure lorsqu’on mentionne que « passion » se dit en grec pathos signifiant « souffrance » ― sens que le mot a gardé jusqu’au XIXe siècle et garde parfois encore, comme dans l’expression canonique « la Passion du Christ ». Ce qui, on en conviendra aisément, ne signifie pas que le Christ, de son arrestation à sa crucifixion au Golgotha, s’est bien amusé « en vivant à fond ses passions » comme on dit aujourd’hui, mais qu’il a souffert. Et, de fait, pathos, comme son équivalent latin passio, signifie « quelque chose qui arrive à un homme », quelque chose dont il est la victime passive. Aristote, par exemple, compare l’homme dans un moment de passion à une personne endormie, démente ou ivre : sa raison est comme suspendue. Il n’est plus agent (celui qui agit), il est patient, celui qui pâtit (miracle de clarté lexicale : tous ces termes, pathos, passion, passif, pâtir, patient sont de même racine et s’enchaînent les uns les autres).

Or, aujourd’hui, nous subissons l’injonction de vivre nos passions en consommant et surconsommant tout ce qui est supposé les satisfaire.

C’est peut-être pourquoi, notre époque, qui en appelle sans cesse au ludique et à l’hédonisme, est au fond si malheureuse.


Pour en savoir plus, lire : Il était une fois le dernier homme
                                         Le délire occidental